- Accueil
- Philosophie & Doctrine
- Le Caodaïsme (1)
Le Caodaïsme (1)
Mise à jour 2012-05-18 10:42:03
L’existence au Sud Vietnam de plusieurs sectes d’origine religieuse et de groupements politico-confessionnels n’est pas un fait particulier à ce territoire, mais une donnée assez courante dans l’histoire des peuples d’Extrême-Orient.
Pour s’en convaincre, il n’est d’ailleurs que de rappeler le rôle plus ou moins important joué par les Sociétés secrètes ou à caractère mystique, telles que les » Turbans Jaunes «, les » Lotus Blancs » dans les destinées des pays de sud-est Asiatique.
La crédulité d’une population fruste, avide de connaître des puissances surnaturelles, est un argument essentiel de la faveur et de la prospérité qu’ont connues ces diverses Associations chez qui une impulsion politique vigoureuse peut faire lever, à l’occasion, des contingents de combattants décidés.
Le Sud-Viêtnam, en pleine évolution à la suite des événements de 1945-1946, profondément affecté par l’occupation japonaise, et l’impuissance concomitante du Pouvoir Central, devait, dans de telles conditions, offrir un terrain favorable au développement des sectes politico-religieuses existantes, et accroître singulièrement leurs possibilités d’action. De fait, et après une période assez trouble où leurs dirigeants comprirent que le succès total des Forces Communistes serait funeste à leur cause, les différentes sectes du Sud-Viêtnam se sont sensiblement ralliées au commandement français auquel elles ont apporté, dans les opérations de pacification, un concours certain, encore que très souvent intéressé et sujet à quelques défaillances.
Laissant de côté les Hoa-Hao, les Unités de Marche de Défense des Chrétientés et les Forces Armées Nationales Binh-Xuyên, Monsieur MEILLON, l’un de nos meilleurs spécialistes des questions du Viêt-nam, a bien voulu écrire, pour les lecteurs du Ruban Rouge, l’étude suivante sur le Caodaïsme.
P. B.
Par deux fois, récemment, le Caodaïsme a fait l’objet d’informations touchant à l’actualité vietnamienne. Cela mérite d’autant plus d’être souligné que, depuis 1956, année de l’intégration définitive des troupes caodaïstes dans l’armée nationale vietnamienne ( 24 février ) et de la conclusion de la convention de Tây-Ninh ( 28 février ), ce mouvement n’avait plus guère fait parler de lui, si ce n’est lors du décès survenu à Phnom-Penh, le 17 mai 1959, du Supérieur Pham Công Tac.
Début juillet 1959, certains journaux saigonnais publiaient la nouvelle d’un détournement de deux millions de piastres commis à l’occasion de la construction, en 1955, d’un camp situé à Xuân-Hiêp ( Thu-Duc ) et destiné à des troupes caodaïstes. Aussitôt, le Département de la Défense Nationale, au cours d’une conférence de presse tenue le 7 juillet, démentait formellement la nouvelle. Il faisait savoir qu’en 1955 le Général caodaïste Van Thanh Cao agissant de sa propre initiative, avait confié à l’un de ses officiers le soin de construire le camp en question ; cependant, le détachement qui devrait s’y installer avait dû faire mouvement avant l’achèvement des travaux, devenus sans objet et, de ce fait, arrêtés. Il ajoutait que le Général Van Thanh Cao lui avait bien demandé une somme supérieure à six millions de piastres afin de rembourser les dépenses engagées, mais que cette demande, en cours d’examen, n’avait encore fait l’objet d’aucune ouverture de crédits.
Le 22 novembre s’ouvrait à Saigon le Congrès national de l’Association pour la Restauration du Viêt-nam, parti fondé en 1949 en vue de rassembler toutes les classes de la population vietnamienne, présenté comme un mouvement indépendant du Caodaïsme, mais considéré en fait comme soumis à cette doctrine. C’était la résurgence de l’ancienne » Ligue pour la Restauration du Viêt-nam « , créée en 1936, sous l’égide du Prince CUONG DE, réfugié au Japon, d’où il animait une active propagande nationaliste.
Le journal d’Extrême-Orient ( numéro du 20 novembre ) ayant affirmé à l’occasion de ce congrès qu’il s’agissait d’une organisation politique » composée en grande majorité de Caodaïstes » et comptant » environ 2 millions d’adhérents ( presque tous des Caodaïstes ) « , le Président de l’église de prosélytisme du Caodaïsme lui adressait, le 2 décembre, » dans l’intérêt supérieur de la religion caodaïque et dans le respect de la vérité « , une mise au point précisant que :
-
La dite association comprend dans son sein un grand nombre de Caodaïstes relevant uniquement de l’Eglise de Tây-Ninh ;
-
La religion caodaïque compte dans l’ensemble environ 2 millions d’adeptes dont la grosse majorité se répartissent dans plusieurs églises différentes, distinctes de celle de Tây-Ninh, et n’ayant rien à voir avec un quelconque parti politique ;
-
Le caodaïsme étant essentiellement une religion, il ne peut être assimilé à une organisation politique temporelle et n’a pas de représentant politique.
A la vérité, on était bien près de penser, en France, que ce mouvement n’avait plus d’existence et qu’après avoir joué au Viêt-nam, durant dix ans, un rôle politico-militaire considérable, il avait disparu aux alentours de 1956. Les faits ci-dessus, par les précisions qu’ils nous donnent, soulignent l’inexactitude d’une telle conception.
HISTORIQUE
Si la naissance du Caodaïsme porte la date officielle du 7 octobre 1926, sa gestation durait, en fait, depuis le début du siècle.
Les événements qui, à l’époque, secouaient l’Extrême-Orient ( guerre russo-japonaise, révolution chinoise, expansion du Japon ) trouvaient un écho profond au Viêt nam, où apparaissait une nouvelle génération d’intellectuels, nourris de culture française. Sans rompre de manière délibérée avec le passé, chacun prenait davantage conscience des idées de progrès et de liberté, de valeur de l’individu. Dans le sud du pays, – la Cochinchine d’alors – , l’évolution s’effectuait plus rapidement, le régime politique entraînant une modification plus profonde de la société traditionnelle, et la situation économique prospère favorisant l’apparition d’une nouvelle classe, celle de riches propriétaires fonciers, à l’influence croissante.
Mais le statut colonial mettait en même temps un frein aux aspirations nationalistes qui se faisaient jour, et les rares satisfactions obtenues par les uns ne faisaient généralement que mieux éclairer les doléances du plus grand nombre.
Face à cet horizon peu engageant, les jeunes Vietnamiens, pénétrés des idées d’Occident, se lancent à la recherche de voies nouvelles, qui puissent les conduire vers un nouvel équilibre, et leur assurer une existence conforme à leurs ambitions. A l’exemple des anciens lettrés, certains évoquent les génies ; il font appel aux ressources du spiritisme pour obtenir de l’au-delà messages et oracles, où ils espèrent trouver une solution aux problèmes qui les préoccupent, un remède aux inquiétudes qui les assaillent.
Le Caodaïsme doit son apparition à la rencontre au Viêt-nam de l’Orient et de l’Occident, au déséquilibre provoqué par cette rencontre, à la recherche d’un ordre nouveau laissant à chacun entrevoir une vie meilleure, grâce à la conciliation des éléments heureux de cette rencontre et à une évolution plus libérale des rapports ainsi crées.
Ngô Van Chiêu, le premier caodaïste, naît à Binh-Tây, près de Cho-Lon, le 28 février 1878. Après avoir suivi, en qualité de boursier, les cours du collège de My-Tho, il obtient de diplômes d’études complémentaires franco-indigènes et réussit, en 1899, au concours de recrutement de secrétaires du gouvernement.
Débordant de modestie, ignorant l’ambition, Ngô Van Chiêu occupe honnêtement divers postes administratifs. En 1902, en service à Thu-Dâu-Môt, des amis le convie à une séance de spiritisme, au cours de laquelle un Esprit l’interpelle et lui recommande de persévérer dans la voie qu’il s’est tracée. Dès lors il s’adonne plus que jamais aux pratiques taoïstes et des ouvrages spirites. Très vite, il acquiert une réelle pratique des communications avec l’au-delà.
En 1920, nous le retrouvons exerçant les fonctions de délégué administratif de l’île de Phu-Quôc, dans le golfe du Siam. Il y jouit d’une grande liberté, ce qui lui permet de réunir une équipe de jeunes médiums avec lesquels il consulte très fréquemment les Esprits. L’un de ces derniers se révèle à lui avec beaucoup d’assiduité. C’est CAO-DAI, le Très-Haut, qui lui confiera bientôt la mission de propager ici-bas une religion universelle, qu’il devra symboliser par un oeil grand ouvert.
Dans le même temps, à Saigon, fonctionnent plusieurs groupes spirites, tous animés par de jeunes secrétaires du gouvernement. Ils utilisent la » table frappante « , procédé lent et incommode. Mais aucune liaison, semble-t-il, n’existe entre eux. Quant à Ngô Van Chiêu, muté à Saigon en 1924, il rentre de son île lointaine avec quelques-uns uns de ses acolytes et, en leur compagnie, la nuit venue, il continue à recevoir communications et messages.
Une conversion retentissante, celle du Conseiller Colonial Lê Van Trung, survient l’année suivante. Personnage très connu, ancien fonctionnaire devenu entrepreneur de travaux publics, ruiné après avoir rassemblé une confortable fortune, très attaché aux jouissances de ce monde, Lê Van Trung accepte l’invitation que lui fait un de ses parents, fervent taoïste, d’assister à une séance spirite dans la banlieue de Saigon. L’esprit s’adresse à lui, l’engage à devenir vertueux, et lui annonce un avenir brillant. L’intéressé, vivement frappé, devient sans tarder un véritable ascète. La nouvelle de ce changement total de mode de vie, diversement commenté, n’en provoque pas moins une intensification de l’activité spirite et une multiplication des adeptes.
Parmi tous les groupes, qui agissent en ordre dispersé, il en est un auquel l’habilité du médium, Pham Công Tac, jeune agent des Douanes, procure une notable célébrité. Un Esprit s’y manifeste souvent, dont les renseignements profonds frappent d’étonnement les assistants, il conserve jalousement son anonymat, et signe des trois premières lettres de l’alphabet vietnamien. Dans la nuit du 24 décembre 1925, il révèle enfin sa véritable identité, disant : » Réjouissez – vous de cette fête. C’est l’anniversaire de ma venue en Europe pour enseigner ma doctrine… « . Il n’y a désormais plus de doute, CAO-DAI, le Très Haut, c’est l’Être Suprême, Dieu lui-même. On imagine facilement l’importance d’une telle révélation.
Les médiums reçoivent bientôt l’ordre d’établir des liaisons entre les groupes, et d’engager ces derniers à opérer leur fusion. Ils reçoivent également pour mission d’abandonner l’usage de la table frappante au profit de la corbeille à bec dont Ngô Van Chiêu, auprès duquel ils doivent se rendre, leur enseignera la pratique. Le 18 février 1926, celui – ci reçoit la visite de Pham Công Tac, accompagné de Lê Van Trung. L’union se réalise pour un temps. Mais Ngô Van Chiêu, le » frère aîné « , semble éprouver quelque crainte du mouvement de masse qui s’annonce. Il va s’effacer et, retiré à Cân-Tho avec quelques adeptes, il constituera en fait le premier groupement de dissidents. Il mourra le 18 avril 1932.
Dès avril 1926, Lê Van Trung a pris la tête du mouvement. Ses talents d’organisateurs, une propagande intelligente, les mystères de la religion naissante ont attiré de nombreuses » conversions » de gens désireux de nouveauté et venus des milieux les plus divers. Le 7 octobre 1926, le Gouverneur de la Cochinchine reçoit la déclaration officielle de la fondation du Caodaïsme. Prudent, il se contente d’en prendre acte, sans toutefois s’engager formellement à le reconnaître.
Mais cette simple tolérance suffit bien aux promoteurs qui accentuent sans délai leur efforts de propagande. On compte, quelques semaines plus tard, 20.000 adeptes. Cette réussite spectaculaire commence à inquiéter les autorités, qui ne voient pas sans surprise le mouvement de conversion s’étendre au Cambodge. Non loin de la frontière de ce pays, à Tây-Ninh, situé à 100 kilomètres environ du Nord-Ouest de Saigon, les Caodaïstes commencent à ménager une ville sainte, grâce à un large concours de main d’œuvre gratuite et de dons importants. A l’occasion des fêtes grandioses de l’Avènement, célébrées du 18 au 20 novembre 1926, un sacerdoce est mis en place, un code religieux promulgué, et Lê Van Trung intronisé comme Pape intérimaire. Doté de ses premières assises, le Caodaïsme peut désormais se consolider et étendre son emprise.
Par centaines, les pèlerins cambodgiens affluent chaque jour à Tây-ninh, souvent même sous la conduite des bonzes. De tels mouvements de masses alarment l’administration. Le Ministre des Cultures de Cambodge, à plusieurs reprises, se voit contraint de procéder à une véritable défense du bouddhisme traditionnel, puis de condamner officiellement le Caodaïsme fin 1927. Devant la rigueur des sanctions édictées, les déplacements vers Tây-ninh s’arrêtent presque totalement. Mais l’évangélisation va se poursuivre sur place, discrète et prudente, placée sous l’égide d’un Esprit des plus assidus dans ses manifestations : celui de Victor Hugo.
Faisant suite à un nouveau raidissement des Autorités du Protectorat, de graves incidents éclateront au cours des années suivantes. Ils donneront lieu à de violentes campagnes de presse et à quelques procès retentissants, qui auront leur prolongement jusque dans les milieux gouvernementaux en France. Avec l’avènement du Front Populaire, la liberté du culte sera reconnue aux Caodaïstes en 1934. En mai 1937, l’Evêque Thran Quanta Vien, » chef de la mission étrangère « , inaugurera solennellement le temple de Phnom Penh. Mais les entraves rencontrées durant les premières années, aggravées par l’écho des rivalités divisant les hauts dignitaires de Tây-ninh, auront eu pour effet d’écarter jusqu’ici du Caodaïsme la grande masse des Cambodgiens.
Revenons à Tây-ninh. En 1930, le Saint-Siège fait état de 500.000 fidèles, soit le huitième environ de la population du Sud-viêtnam. Le succès serait total si de sérieuses divergences, motivées non par des questions de doctrine, mais semble-t-il, par des considérations matérielles, ne provoquaient périodiquement des départs de dignitaires. Ainsi vont se constituer, en différents points du pays, diverses petites sectes rivales, qui n’entameront guère durablement le prestige de Tây-ninh. Pourtant, des accusations d’indélicatesse sont lancées, qui atteignent la personne même de Lê Van Trung, et qui grossissent la masse des mécontents et justifient de nouveaux départs. Une crise économique s’abat à la même époque sur l’Indochine ; elle ne manque pas d’éprouver le Saint-Siège, où la disette fait suite à l’abondance. Malade, épuisé par les luttes qu’il a dû mener, éprouvé par l’état d’abandon qui règne autour de lui, Lê Van Trung meurt le 8 novembre 1934.
Il ne sera pas remplacé en titre. Un an plus tard, alors que les passions demeureront vives, un Grand Concile confiera les destinées du Caodaïsme au chef des médiums, » Protecteur des Lois « , Pham Công Tac, qui n’a cessé, durant les années de crise, de jouer aux côtés du Pape défunt un rôle sans cesse grandissant. Du 12 novembre 1935 jusqu’à sa mort, le 17 mai 1959, ce haut dignitaire restera, pour la plupart des infidèles, le Supérieur du Caodaïsme.
L’orientation nouvelle de la politique coloniale française, la liberté du culte obtenue dans l’Indochine entière, le calme revenu progressivement à Tây-ninh favorisent une reprise de l’effort de propagande. L’intelligence et l’habileté du nouveau chef assurent par ailleurs une reprise en main efficace.
Mais l’activité des sectes dissidentes demeure. Fort jalouses de leur indépendance, celles-ci n’en aspirent pas moins à une certaine unité de direction qui effacerait l’impression d’anarchie laissée par leurs rivalités. Un » Congrès Universel des Sectes Caodaïques « , réuni en 1936, élève à sa présidence le Conseiller Colonial et publiciste Nguyen Phan Long, dont le prestige paraît de nature à rallier bien des hésitants. Pourtant, au bout de trois années d’efforts, les résultats demeurent assez maigres. Tây-ninh est resté à l’écart et conserve une autorité réelle sur la majorité des Caodaïstes.
A la veille de la guerre, les passions semblent s’être quelque peu apaisées. D’autres préoccupations se font jour, et l’attention se porte sur l’attitude de personnalités dites nationalistes militant au sein du Caodaïsme. Sous le manteau, circulent des messages spirites qui contiennent des allusions aux conflits imminent et à ses conséquences politiques possibles. Le Saint-Siège refuse de les reconnaître comme valables, mais, par ailleurs, des dignitaires manifestent une sympathie certaine envers la poussée nationaliste et semble attendre du Japon un concours déterminant pour la réalisation de leurs vœux.
Au Japon, d ‘ où il mène une lutte sévère contre le régime colonial, s’est en effet réfugié depuis 1906 le Prince CUONG DE, descendant direct de GIA LONG, le fondateur de la dynastie des NGUYEN ( 1802 ). En 1936, il a fondé la » Ligue pour la Restauration du Viêt-nam « , et son prestige grandit dans les rangs du Caodaïsme. La défaite de 1940 fait paraître comme imminent le retour de CUONG DE au Viêt-nam, une active propagande le laisse entendre, à laquelle bien des Caodaïstes ne demeurent pas insensibles. Autant de raisons qui suscitent une plus grande vigilance des autorités administratives. Le Gouverneur Général DECOUX juge bon de prendre des mesures rigoureuses.
Fin 1940, nous assistons aux premières fermetures d’oratoires. L’agitation persiste. En 1941, Pham Công Tac et cinq autres dignitaires sont arrêtés, puis finalement déportés à Madagascar. La rigueur croissante de l ‘ administration aggrave le malaise dans les milieux caodaïstes, où se développent les défections, les dérobades et les fuites de dignitaires vers l’étranger. Par la force des choses, le mouvement caodaïste prend de plus en plus l’aspect d’un mouvement politique.
Les Japonais, installés dans le Sud-indochinois en 1941, ne tardent pas à exploiter à leur profit le mécontentement suscité par les entraves du gouvernement. Ils prennent d’abord sous leur protection le temple de Phnom-Penh, d’où partent alors ordres et directives. Puis ayant fait droit aux protestations françaises et rendues » à l’exercice du culte » ce temple aussitôt occupé et fermé, ils inaugurent à Saigon, en octobre 1942, une collaboration nippo-caodaïste que seule favorise une convergence d’intérêts.
L’Evêque Trân Quang Vinh, ancien chef de la Mission du Cambodge, a reçu par message spirite l’ordre de prendre provisoirement la direction de la secte. Il sera, jusqu’à la défaite japonaise, l’âme de cette collaboration dont le souci de vérité oblige à dire qu’elle ne fut jamais marquée par une réelle sympathie mutuelle et qu’une méfiance certaine présida souvent aux rapports entre les partenaires.
C’est l’époque où le Prince CUONG DE multiplie ses contacts avec les Caodaïstes, où ceux-ci adhèrent à la » Ligue pour la Restauration du Viêt-nam « , où des milliers d’engagés volontaires reçoivent d’instructeurs japonais une formation les préparant à des missions de renseignement et de combat. Une force militaire caodaïste se constitue peu à peu sous le couvert d’une entreprise de construction de jonques employant une main d’œuvre nombreuse. Le 9 mars 1945, ces combattants passent à l’action ouverte, et se révèlent de précieux auxiliaires des Japonais, lord de leur coup de force contre l’autorité française.
Dès le lendemain 10 mars, à nouveau la liberté du culte fut proclamée, et les fidèles reprennent le chemin des oratoires. L’existence d’une force militaire caodaïste, doté d’un état-major particulier, est reconnue par l’occupant. Mais l’éclatement des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki met fin, pour un temps, à cette ascension. Vaincu, le Japon se retire du Viêt-nam, où le Front Viêt-Minh, sous direction communiste, prend le pouvoir. Prudemment, les Caodaïstes se rallient à ce Front, tout en cherchant à défendre leur propre autonomie.
Trân Quang Vinh doit s’effacer. Arrêté par le Viêt-minh, il parvient à s’évader, mais les forces françaises qui » nettoient » la région de Saigon s’emparent de sa personne. Toujours soucieux des intérêts de la secte, il juge préférable de négocier. En échange d’une reconnaissance officielle du Caodaïsme et du retour des exilés de Madagascar, il promet la collaboration de ses troupes à la pacification d’un régime nouveau que laissent espérer les promesses faites à Brazzaville. L’accord est conclu le 9 juin 1946.
Le Supérieur Pham Công Tac rentre au Viet-nam le 21 août. Le 30, il reprend possession du Saint-Siège. Aussitôt, il s’attache à réorganiser le mouvement, tâche difficile sur le plan politique et militaire. L’autorité accrue dont il jouit triomphera, non sans mal, des multiples rivalités qui se feront jour parmi les cadres.
L’appui accordé par les troupes caodaïstes à l’armée française dans sa lutte contre le Viêt-minh a suscité bien des commentaires ; il a été diversement jugé. Des ralliements alternant avec de célèbres départs en dissidence illustrent cette coopération, plus ou moins étroite, plus ou cordiale selon les moments. Il fut un temps où les chef français souhaitaient presque tous avoir sous leurs ordres des combattants Caodaïstes, réputés pour leurs qualités de mordant et de courage. On a cependant trop oublié parfois que ces troupes se battaient pour leur religion et pour leur pays, d’où les heurts, les difficultés qui surgirent périodiquement et, finalement, le climat de méfiance qui gagna tous les échelons.
Pham Công Tac rêvait sans doute de pouvoir jouer dans son pays un rôle de médiateur, de conciliateur et, – pourquoi pas ? – de se hisser peut-être à la magistrature suprême. Ses contacts plus ou moins avoués avec les différentes formations politiques, même adverses, la fluidité de certaines de ses prises de position l’ont par moments rendus suspect, alors qu’il demeurait néanmoins un personnage considérable, écouté et influent. Plusieurs fois, il a tenté d’opérer l’union de toutes les forces combattantes anti-communistes. Cependant chacun des partenaires tenait trop à la sauvegarde de ses propres positions pour que ces tentatives fussent couronnées de succès.
Le 5 juillet 1954, le Président Ngô Dinh Diêm constitue son premier gouvernement, dans les conditions difficiles que l’on sait, après Genève. Désireux d’asseoir son autorité sur tout le territoire vietnamien, il cherche à bâtir une entente durable entre les divers groupements, et entend donner à son armée la place qui lui revient dans un Etat organisé. Mais les diverses sectes, qui occupent chacune une partie du pays, prétendent ne pas souffrir une diminution de leur autorité? En 1955, le Président Diêm décide de briser les résistances. Il parvient à nationaliser une partie des troupes Caodaïstes. Il détruit la puissance militaire organisée des sectes et assure la victoire de l’armée nationale.
Le Saint-Siège devient le théâtre de difficultés sanglantes. Pham Công Tac annonce qu’il » se réfugie dans l’universalité de la religion « . Toutefois les menaces continuent à peser lourdement sur Tây-ninh. Dans la nuit du 14 au 15 février 1956, le Supérieur et quelques fidèles jugent plus prudents de s’enfuir au Cambodge. Le caodaïsme se trouve à un nouveau tournant de son histoire.
Les troupes du Général Van Thanh Cao occupent le Saint-Siège le 17 février, » pour y faire régner l’ordre public « . Le 24 février, le Général Nguyen Thanh Phuong place ses dernières unités sous les ordres du Gouvernement. Par la convention du 28 février, les hauts dignitaires restant à Tây-ninh s’engagent à n’exercer qu’une activité strictement religieuse, et à se conformer rigoureusement aux lois de la République.
Ainsi, trente ans après sa fondation, le Caodaïsme a retrouvé la voie de la religion. Une assemblée tenue au Saint-Siège du 11 au 14 mai 1957 a confié au Chef Temporel Cao Hoai Sang la direction de la secte. Deux ans après, presque jour pour jour, Pham Công Tac mourra à Phnom Penh, à l’âge de 70 ans.
Autres Nouvelles
- MESSAGE DE L'ESPRIT DE LÉON DENIS RELATIF AU CAODAISME (2022-09-19 23:52:55)
- QU’EST-CE-QUE LE CAODAISME ? (2012-08-21 07:19:28)
- Les huits Immortels du Taoisme (Bat Tien) (2012-05-18 10:44:13)
- Le Caodaïsme (2) (2012-05-18 10:40:38)
- Le Caodaïsme (3) (2012-05-18 10:38:48)